Les aides de Corona pour les grandes entreprises qu’en échange contre des plans climatiques

Les aides fédérales prévues pour les grandes entreprises en difficulté doivent avant tout bénéficier aux salarié·e·s concerné·e·s en tant que soutien immédiat. Cependant, le financement public doit également être basé sur des critères de précaution et pour éviter de futures urgences climatiques. Les entreprises et les secteurs qui sont des sources importantes d’émissions de gaz à effet de serre doivent présenter des plans climatiques appropriés parallèlement à la demande d’aides auprès de l’État. C’est la seule façon de garantir la compatibilité climatique de l’utilisation de l’aide d’urgence.

La crise du Corona exige des mesures économiques drastiques pour protéger les personnes touchées des conséquences des ordonnances d’urgence. La cohésion sociale pendant et après la récession imminente doit être préservée. Les aides déjà décidées pour les PME et leurs employé·e·s ainsi que pour les indépendant·e·s servent l’indispensable stabilisation sociopolitique.

Mais au-delà de la limite actuelle fixée au titre des PME, le gouvernement envisage également de soutenir les grandes entreprises en difficulté qui réalisent plus de 500 millions de chiffre d’affaires. Une telle aide fédérale a été évoquée par le conseiller fédéral Maurer lors de conférences de presse à la fin du mois de mars. Selon la proposition du Conseil fédéral au Parlement, l’industrie aérienne et aéroportuaire devrait déjà recevoir des aides d’État de près de 2 milliards. On peut estimer que des sommes se chiffrant potentiellement en dizaines de milliards seront injectées.

La Confédération doit saisir l’occasion de fixer le cap de la politique climatique

Ces dernières années, de nombreuses entreprises qui demandent l’aide lié à la crise du Corona n’ont pas investi dans la résilience financière et climatique.Si le secteur public, en tant qu’investisseur de facto, devait aujourd’hui fournir une aide financière inconditionnelle, cela signifierait que les grandes entreprises seraient libérées de leur obligation de gérer les risques climatiques. Ceux-ci sont associés à des dommages potentiellement encore plus graves et à des effets planétaires permanents.

Des leçons peuvent et doivent être tirées de l’urgence actuelle du Corona pour la crise climatique imminente afin d’éviter les dommages de portée mondiale liés au climat, y compris les pertes financières. Entreprises qui réclament ou réclameront une aide doivent être tenues responsables.

Un grand nombre de grandes entreprises potentiellement touchées par le COVID-19 sont très pertinentes pour le climat. Elles sont à l’origine d’une part considérable des émissions de CO2. Il s’agit notamment des compagnies aériennes et des exploitants d’aéroports, des grandes agences de voyage et de la grande industrie hôtelière, de l’industrie du ciment et des matériaux de construction, des entreprises internationales de construction routière et de logistique, des opérateurs de centres commerciaux, des importateurs de voitures et de pétrole, des sociétés de commerce de matières premières, mais aussi des grandes banques en tant que financiers d’installations, d’opérations et d’entreprises émettrices.

La mise en place de conditions pour eux aujourd’hui sous la forme de plans climatiques sert de dispositif de gestion des risques et de modèle pour une politique économique climatique exemplaire. Les entreprises doivent présenter une trajectoire de réduction ajustée à la dimension de la crise, pour réduire leurs émissions directes de gaz à effet de serre. Il faut aussi un concept pour décarboniser les émissions indirectes causées par leur chaîne d’approvisionnement et leurs produits.

La faisabilité est avérée

Les grandes entreprises ont accès à des outils globalement reconnus pour l’élaboration de plans de décarbonisation fondés sur la science dans le cadre de leurs modèles d’entreprise. La Confédération dispose de bases de décision standardisées pour déterminer l’importance climatique des activités économiques. Des instruments de contrôle reconnus sont disponibles pour suivre l’efficacité des plans climatiques des entreprises.

Les plans climatiques comprennent :

  • l’engagement en faveur des objectifs de l’Accord de Paris sur le climat et d’un réchauffement climatique maximal de 1,5 °C d’ici 2050,
  • la collecte, la mesure et la divulgation des propres émissions de CO2 et d’autres gaz à effet de serre, y compris les émissions des chaînes de valeur et de consommation en amont et en aval causées par son modèle commercial,
  • la définition de trajectoires concrètes de décarbonisation, y compris la définition d’objectifs intermédiaires,
  • l’obligation pour la direction des entreprises d’atteindre ces objectifs,
  • un système de gestion avec une répartition des responsabilités climatiques au sein des entreprises et un contrôle interne,
  • des ajustements du modèle d’entreprise nécessaires pour atteindre ces objectifs, y compris la gestion des partenariats commerciaux
  • le suivi et les rapports périodiques au secteur public financier et au grand public sur la réalisation des objectifs intermédiaires,
  • l’ajustement des objectifs intermédiaires afin d’atteindre les objectifs climatiques finaux.

 

Informations sur les normes des plans climatiques et leur faisabilité

Le secteur public financier et les entreprises bénéficiaires ont actuellement accès aux instruments suivants, mis en place à l’initiative de l’UE et des Nations unies :

1. La régulation de classification (“taxonomie”) de l’UE

Les autorités publiques devraient utiliser cette régulation, qui entrera bientôt en vigueur, comme base pour décider quelles entreprises doivent être exemptées de l’élaboration de plans climatiques. Les travaux relatifs à l’ordonnance sur la taxonomie visent, dans un premier temps, à déterminer quelles activités économiques peuvent être considérées comme vertes. Dans une phase ultérieure, elle classera toutes les activités économiques en vert, moyen et brun. La Confédération et éventuellement les cantons disposeront bientôt de critères clairs pour déterminer quelles entreprises doivent être tenues de présenter des plans climatiques.

La taxonomie UE en détail

Activités économiques durables : l’UE parvient à un accord politique sur un système de classification unifié (Conseil de l’UE, 18.12.2019)

En décembre 2019, un accord politique a été conclu entre le Parlement européen et le Conseil européen sur le règlement de taxonomie de l’UE. Il fournit le cadre pour l’établissement d’une “liste verte” d’activités économiques et d’une future classification des entreprises en tant que “brunes” ; elle prévoit également des obligations de publication étendues pour les acteurs du marché. L’UE disposera bientôt d’un système de classification commun qui encouragera les investissements privés dans la croissance durable et contribuera à une économie neutre en carbone. Cela servira de base pour décider quels investissements peuvent être considérés comme durables et respectueux du climat et – inversement – lesquels ne le sont pas (c’est-à-dire “bruns”) et lesquels doivent être classés comme neutres.

Les détails de la “liste verte” figurent dans le rapport final, qui a été préparé par le groupe d’experts techniques (TEG) responsable :

TEG final report on the EU taxonomy

La poursuite des travaux en vue d’une future “liste brune” fait l’objet d’un consensus au niveau des experts :

EU taxonomy advisors call for expansion from green to ‘brown’ in final report

Citation du rapport final:

“The TEG welcomes the decision to study future so-called ‘brown’ Taxonomy criteria. Emissions levels in some economic activities are currently too high and threaten to continue to be too high throughout the economic transition to be consistent with Europe’s emissions-reduction goals. Developing criteria for significantly harmful emission levels will help investors, companies, issuers and project promoters to understand the necessary speed and depth of the transition task ahead” (Page 8).

“Incorporating ‘brown’ criteria into the taxonomy will greatly assist companies and other issuers in explaining incremental improvements in their activities and receiving some positive recognition in the market” (Page 51).

“By establishing “brown” criteria, the Taxonomy would effectively create three perfomance levels within the Taxonomy structure: “substantial contribution” [green], “significant harm” (brown, or perhaps red) and a middle category for those activities of neither”substantial contribution nor significant harm” (Page 51).

“The benefit of ‘brown’ Taxonomy thresholds is that they can be used to clearly signal when improvements to existing assets make a substantial difference to the environmental performance of an activity or asset relative to environmental objectives. For example, a company could explain that finance or investment decisions enabled it to move an activity from a significantly harmful level of performance to an acceptable level of harm, at least for a time, relative to environmental goals” (Page 52).

“The TEG welcomes the decision to study future so-called ‘brown’ Taxonomy criteria. Emissions levels in some economic activities are currently too high and threaten to continue to be too high throughout the economic transition to be consistent with Europe’s emissions-reduction goals. Developing criteria for significantly harmful emission levels will help investors, companies, issuers and project promoters to understand the necessary speed and depth of the transition task ahead” (Page 8).

“Incorporating ‘brown’ criteria into the taxonomy will greatly assist companies and other issuers in explaining incremental improvements in their activities and receiving some positive recognition in the market” (Page 51).

2. Les règles de l’UE relatives aux obligations d’information non financière des sociétés

Afin de décider quelles entreprises ont un impact climatique, la Confédération et, le cas échéant, les cantons, doivent demander les données dont la divulgation est en vigueur depuis des années dans l’UE en vertu des règles relatives aux obligations de publication incombant aux entreprises :

Directive 2014/95/EU sur la publication d’informations non financières

Les règles d’information en détail

Les grandes entreprises doivent publier des informations relatives aux questions environnementales, sociales et du travail, au respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption (Corporate Social Responsibility, reporting CSR).

La méthodologie a été décrite en 2017 dans les lignes directrices sur l’information non financière. Celles-ci énoncent les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat, qui visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le cadre des questions environnementales.

Avec le Supplement on reporting climate-related information (2019), une ligne directice spécifique est désormais disponible, qui précise notamment l’identification des risques climatiques financiers propres aux entreprises et les risques des activités commerciales pour le climat. En outre, les émissions de gaz à effet de serre doivent être mesurées en incluant le Scope 3 (voir ci-dessous), les plans climatiques doivent être publiés sous la forme d’objectifs de réduction des émissions directes et indirectes (voir ci-dessous). Par conséquent, les systèmes de gestion et le modèle d’entreprise doivent inclure et divulguer l’impact climatique.

3. L’initiative “Science Based Targets” (SBTi)

Le pouvoir public devrait exiger des entreprises la mise en œuvre de l’initiative “Science Based Targets” (SBTi) soutenue par les Nations unies.

Les SBTi en détail

La SBTi est l’outil qui permet aux entreprises elles-mêmes de s’engager sur une voie de décarbonisation contraignante, avec un engagement pour les objectifs de l’Accord de Paris sur le climat d’un réchauffement maximum de 1,5°C d’ici 2050, couvrant toutes leurs activités économiques, y compris celles de leur chaîne de valeur en amont et en aval : https://sciencebasedtargets.org/what-is-a-science-based-target/#

Les methodes : https://sciencebasedtargets.org/wp-content/uploads/2017/04/SBTi-manual.pdf

Les engagements comprennent une voie de décarbonisation à la fois pour les propres émissions de gaz à effet de serre et celles causées à l’extérieur par le modèle économique.

Les émissions de CO2eq causées par l’entreprise elle-même (Scope 1) et les émissions de gaz à effet de serre causées par l’achat d’énergie de charbon, de pétrole et de gaz naturel (Scope 2) ne sont pas les seules à avoir une impact sur le climat. En particulier, ce sont aussi les émissions de CO2eq générées par les achats (chaîne d’approvisionnement) et les services et produits des consommateurs en aval de ce que l’on appelle le Scope 3, qui doivent être réduites. La page 40 du manuel SBTi contient des instructions sur la manière d’utiliser le Scope 3.

Les émissions propres de Scope 1 sont évidentes dans le cas des compagnies aériennes, des cimenteries, de l’industrie des matériaux de construction et des entreprises de logistique opérant au niveau international dans le transport routier et maritime.

En revanche, les émissions des entreprises touristiques et des aéroports sont en grande partie imputables aux voyages vendus et le transfert de passagers de vols et de croisières. Il s’agit donc des émissions de CO2eq du Scope 3. Les exploitants de centres commerciaux et les grandes entreprises de vente au détail sont également à l’origine d’émissions secondaires de type 3, principalement en raison du transport privé motorisé.

4. L’initiative “Transition Pathway” (TPI)

Cette initiative, promue par les Principles of Responsible Investment des Nations unies (UN-PRI), fournit aux investisseurs et aux financiers un système de contrôle permettant de mesurer les progrès des entreprises en matière de climat. Le système de suivi supervise les mesures prises par les entreprises pour élaborer des plans climatiques (gestion liée au climat, adaptation du modèle d’entreprise) :

https://www.transitionpathwayinitiative.org

Référence aux communications du Conseil fédéral concernant les aides aux grandes entreprises :

Finanz und Wirtschaft, 25.03.2020: “Nicht von Überbrückungshilfen profitieren Unternehmen mit einem Umsatz von mehr als 500 Mio. Fr. Sollten diese Gesellschaften in Schieflage geraten, würde der Bund Einzelfallhilfe prüfen.” (Les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 500 millions de CHF ne bénéficieront pas d’aides relais. Si ces entreprises devaient connaître des difficultés, le gouvernement fédéral examinerait les aides au cas par cas).

Conférence de presse du Conseil féderal du 20 mars 2020, Video (Conseiller fédéral M. Maurer, env. 31:00)

Conférence de presse du Conseil féderal du 25 mars 2020, Video (Conseiller fédéral M. Maurer, env. 6:40)

Pour plus d’informations:

Sandro Leuenberger, Place financière et climat, Alliance Climatique Suisse, sandro.leuenberger@klima-allianz.ch